Solidarité : oui ou non ?

Il était une fois, dans un village africain, une vieille dame qui allait au marché vendre de l’eau. C’était la seule qui le faisait dans ce marché.

Un jour de marché, le crieur public annonça les cérémonies traditionnelles dans ce village. Pendant cette cérémonie, personne ne devait déambuler dans les rues. 

A l’annonce de cette nouvelle, la vieille vendeuse d’eau a pris ses précautions pour vite quitter le marché afin de rentrer avant le début des cérémonies prévues. Il lui restait encore de l’eau à vendre. Cependant, elle prit le chemin du retour.

A un niveau, le cortège du roi la dépassa. Ayant réalisé que l’heure était de plus en plus grave, elle sollicita le roi : Majesté, je vous prie de m’intégrer dans votre cortège afin de me permettre de rentrer sereinement chez moi, vu que l’heure des cérémonies est déjà proche. Mais le roi ne l’écouta pas. Il ignora sa demande et continua son chemin. La vieille, dépitée, continua son chemin. Elle décida de contourner le village, prendre des chemins détournés pour échapper aux gardiens et autres dignitaires en charge des cérémonies.

Pendant ce temps, le cortège du roi a dû s’arrêter en chemin. En effet, le roi souffrait d’une maladie qui le contraignait à boire fréquemment de l’eau. Son stock étant épuisé et aucun villageois en vue pour lui venir en aide, il agonisait tout en implorant la venue d’un secours.

Soudain, un fou sortit de la brousse. Ayant remarqué le cortège, il s’approcha pour demander ce qu’il se passait, étant entendu que personne ne devrait plus être dans les rues à cette heure. Informé que le roi avait besoin d’eau en urgence, il prit sur lui la responsabilité d’aller chercher la vieille dame qu’il aurait croisée sur son chemin un peu plus tôt. Il réussit. La vieille, ayant reconnu le cortège qui lui avait refusé assistance il y a un moment, déclara : c’est à cause de celui-là que tu m’as fait rebrousser chemin ? Si je lui donne de mon eau, ce serait à cause de toi, le fou. Face au regard inquisiteur de ce dernier, elle lui raconta comment elle a sollicité l’aide du roi en vain. Puis, elle descendit la jarre d’eau de sa tête pour servir le roi. A peine voulait -elle l’abreuver que celui-ci rendit l’âme. Alors, le fou leva les yeux au ciel, les ramena au sol puis déclara : est-ce ainsi le visage de la vie ?

Merveilleuses créatures de Dieu, cette histoire a suscité beaucoup de commentaires que j’aimerais partager ici.

Pour certains, dans la vie, il faut faire beaucoup de bien. Ainsi, si le roi ne l’avait pas ignorée, il n’aurait pas trépassé, assoiffé.

Pour d’autres, le roi a failli à sa mission de protecteur de la nation, du peuple qui l’a élu. Il aurait certainement l’habitude de maltraiter, de ne pas répondre aux sollicitations de son peuple. Cette situation a donc été, pour lui, l’heure de payer pour ses méfaits.

Dans le même temps, plusieurs donnent raison au roi car, ne sachant pas qui elle était et ce qu’elle faisait là, à cette heure où personne n’était censé être dans la rue, il n’aurait fait que se protéger d’un potentiel esprit maléfique. En effet, beaucoup d’actes de charité se seraient déjà tournés au vinaigre pour des cœurs magnanimes.

D’autres encore accusent la vieille surtout dans sa déclaration : « c’est à cause de celui-là que tu m’as fait rebrousser chemin ? Si je lui donne de mon eau, ce serait à cause de toi, le fou ». Selon cette école, d’une part, elle ne devrait pas garder rancune envers le roi pour cet incident ; c’était après tout le roi et il était en droit, libre de faire sa volonté. D’autre part, elle a fait usage de manque de pardon ; si non, elle n’aurait pas fait tant de discours, elle aurait vite servi le roi qui n’aurait pas trépassé : elle était donc fautive, passible de jugement.

Par ailleurs, quelques questions sont aussi en droit d’être posées :

– Qui est le propriétaire de l’eau ? 

– Pourquoi a-t-il fallu qu’elle aille au marché ce jour-là et surtout, pourquoi n’a-t-elle pas tout vendu avant de prendre le chemin du retour ? 

– Pourquoi fallait-il que ce soit le roi qu’elle rencontre et pas quelqu’un d’autre ?

– Pourquoi le fou l’avait-elle aperçue pour enfin servir d’intermédiaire afin de secourir le roi ? 

– Pourquoi le roi qui avait beaucoup de serviteurs, de devins, de sages à ses services, a manqué de prévoyance ? 

– Pourquoi fallait-il que le roi décède ainsi ?

Voilà autant de pensées, autant de questions qui, je pense, méritent réflexion de la part de chacun de nous.

Princes et Princesses, n’ayant pas toutes les réponses, si non aucune avec certitude, il me semble que la vie demeure un mystère. Par conséquent, je me demande si, comme les coiffeurs, nous ne devrions pas, chaque fois, faire attention aux oreilles.

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